L’écologie est-elle un humanisme ? par A. SOUYRIS, P. SERNE, D. BAUPIN
par Denis Baupin,
Pierre Serne et Anne Souyris
Il
serait presque drôle de poser ainsi la question dont tout le monde se rappelle
l’original.
Drôle si les Verts n’en
étaient pas encore à justifier de cette position pourtant tellement
fondamentale qu’elle n’est jamais abordée parmi nous, et traîne pour autant
dans tous nos coins de tiroirs.
Drôle si la cohérence de
notre parti était tellement éclatante qu’elle ne nécessitait pas cet
éclaircissement.
Drôle enfin si notre
compétence à communiquer dépassait un public écolo-sensible bac+25.
Donc la question n’est
finalement pas très drôle. Surtout si l’on souhaite faire du parti vert un
parti d’avenir, - allez soyons ambitieux – LE parti d’avenir.
Ce qui signifierait au
préalable qu’il ne soit plus assimilé à une aimable girouette qui traite selon
l’heure du jour des petites fleurs ou du mariage gay, sans que personne ne soit
vraiment capable d’en comprendre le ressort politique général.
Question secondaire,
pensez-vous peut-être. Et pourtant… ces liens ne supposent rien de moins qu’une
révolution culturelle à entreprendre. Car la première condition pour comprendre
cette logique est de cesser de considérer l’homme comme seul homo economicus et de l’envisager dans
toutes ses dimensions, dans toutes ses interactions avec le monde. Cesser de
considérer le sacro-saint bien-être économique comme seul élément tentaculaire
soit-disant capable de résoudre tous les problèmes. Ce qui reste encore trop
vrai pour la droite comme pour la gauche, les seconds restant plus partageurs que
les premiers, mais encore trop collés à une logique dont l’économie est le
moteur central.
Ainsi, à en croire trop de
gens de gauche encore, les discriminations se résoudraient d’elles-mêmes si les
inégalités sociales disparaissaient. Pour d’autres, à droite, à l’image des
problèmes environnementaux, il suffirait d’une charte de bonne conduite signée
par de gentils entrepreneurs pour que l’environnement comme la place de chacun
soient respectés dans notre douce France…
Avec l’écologie politique,
nous sommes sur une tout autre ligne. Une ligne qui rejoint la gauche pour ce
qui est de la solidarité. C’est pour cette raison – essentielle – que nous
sommes alliés.
Mais une ligne qui ne met plus l’économie au centre. Au centre
se trouve pour nous l’individu dans sa multiplicité de liens :
identitaires, collectifs, géographiques, d’aspiration, environnementaux – et
dans son devenir. La défense des langues régionales et des cultures
minoritaires, comme l’accès aux mêmes droits pour tous et toutes, ou encore une
ouverture à des modes de vie alternatifs font partie intégrante de cette ligne.
Le « devenir minoritaire » pour paraphraser Deleuze n’est pas un vain
mot pour un écolo, c’est un pivot de son action. Le lien à la préservation de
notre planète ? Le droit à la vie pour toutes et tous, sans prédation,
sans domination, sans destruction, sans exclusivité. Un vaste projet. Où
l’économie a sa part, mais sa part seulement. Les gaz à effet de serre nous
tuent. La discrimination aussi, certaines populations l’ont cruellement
expérimenté avec le sida. En France, les usagers de drogues ont été contaminés
et sont morts de leur exclusion sociale et sanitaire. Les ressortissants
d’Afrique subsaharienne continuent d’être gravement touchés par l’épidémie, y
compris en France, ce n’est pas un hasard, encore moins une fatalité. Dans la
France de 2006, un jeune homo ou une jeune lesbienne a 13 fois plus de
« chances » de se suicider qu’un jeune hetero, du fait de la
stigmatisation et de la discrimination. Quel que soit son milieu social. Et
l’on continue aussi à mourir dans nos contrées « universalistes » du
simple fait d’être un arabe au mauvais endroit au mauvais moment.
Faire le choix du multiple
contre la voie unique, c’est faire le choix de lutter contre les OGM, contre une
mondialisation uniforme et économiquement impérialiste, mais également contre
la domination de l’homme blanc hétérosexuel chrétien cinquantenaire, un seul
type de famille, un seul type de vie et de croyance possibles.
Ainsi pourrait-on parler
d’individualisme solidaire. Ou d’humanisme.
« Les philosophes n’ont fait
qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe c’est de le
transformer » écrivait Marx le millénaire dernier. L’écologie politique
est une pensée qu’il est temps aujourd’hui de mettre à l’épreuve du changement
qu’elle préconise. Et de prouver qu’elle EST un humanisme en est bien la
première pierre susceptible de lui faire quitter la sphère de l’aimable
anecdote.
Parler d’humanisme
permettrait peut-être d’éteindre le feu de ces faux clivages qui nous séparent.
En effet, notre place, quelle que minoritaire soit-elle d’un point de vue
électoral relève d’un enjeu dont nous sommes tous et toutes conscientes
aujourd’hui, que nous soyons Verts ou simplement écolos dans nos pratiques et
nos inquiétudes : nous sommes en danger, par la pollution que nous
générons, par le gaspillage de nos ressources naturelles, par un égoïsme
productiviste et d’exploitation tous azimuts, par notre incapacité en un mot à
gérer notre « toujours plus ».
Ces pratiques à
risques - qui ont pu, pour certaines
dimensions, être facteurs de progrès partagé dans nos pays riches - sont liées
à un système d’exploitation - mondial et local - tel qu’il implique une
division sociale, une hiérarchie nécessairement inégalitaire pour le faire
fonctionner.
Que nous venions du
mouvement social, du mouvement écolo ou d’autres partis de gauche, nous sommes
les seuls à défendre, malgré nos origines idéologiques diverses, un humanisme
qui se décline de trois manières : nous estimons l’être humain capable
d’autonomie, de responsabilité et de solidarité bien au delà de sa propre
espèce, de sa géographie et de son temps.
Mais, à la différence de certains,
notre humanisme ne s’ancre pas dans une pseudo-neutralité, dans un
universalisme désincarné. Il est conscience de là où « je » parle,
pour chercher l’intérêt général. Cet humanisme n’est ainsi pas un dénigrement
du local, de la culture minoritaire, il y est même profondément attaché. Mais
cela ne l’empêche pas pour autant de s’étendre au « global », et ce
de manière parfaitement décomplexée ; parce qu’il implique une conscience
de ses limites, mais également une connaissance beaucoup plus intime de
l’existant. Enfin cet humanisme est une démarche. Pas un dogme, pas une
croyance ni transcendantale, ni finie. Il évolue en marchant,et n’est en aucun
cas une solution clef en main. Il se fonde sur la coopération entre les
différents acteurs pour changer le monde, pas sur un centralisme plus ou moins
démocratique.
Ainsi sommes-nous autant
pour une décentralisation politique d’initiative régionale, seule manière pour
expérimenter des alternatives adaptées - et adoptées par les populations
concernées - autant en matière d’économie d’énergie, de transport, qu’en
matière d’accès à des droits nouveaux (distribution d’héroïne médicalisée en
cas de dépendance lourde, écoles publiques autogérées, accès aux droits
sociaux, en dehors même du salariat, quelle que soit l’activité – y compris
pour les prostitué-es, ouverture de l’adoption aux couples de même sexe…)
Notre qualité essentielle,
si nous n’en avons qu’une seule, est la suivante : celle de défendre un
monde solidaire qui refuse la prédation, la domination et la destruction comme
mode majeur de fonctionnement.
D’où notre défense de notre
planète comme notre richesse et notre devenir, notre défense des minorités
qu’elles soient identitaires, culturelles, biologiques, géographiques (…).
Oui nous sommes des
humanistes. Des humanistes pragmatiques et utopiques : c’est nous qui
avons détruit notre monde avec vigueur, c’est à nous qu’il incombe de le
ménager et de le reconstruire sous une forme modeste, qui ne fait croire à
personne que l’homme est le centre parfait de la quadrature du cercle.
Il est temps aujourd’hui
que notre parti sache mettre en œuvre cette philosophie sans laquelle notre
monde reste le règne d’une prédation à la fois destructrice et archaïque.
Temps, sans catastrophisme aucun de nous montrer capables d’être le premier
parti de gauche, parce que le seul à avoir un projet radicalement neuf,
respectueux des humains et de la planète sur le long terme, mais surtout et ce,
sans attendre le grand soir, susceptible d’être mis en œuvre dès aujourd’hui.