Cher Nicolas Hulot. Par N. MAMERE
Tu sais bien que le poison qui ronge nos sociétés n'est pas
seulement dans les pots d'échappement de nos bagnoles et dans les fumées de nos
usines. La réalité de ce monde ne peut se résumer à la seule menace climatique,
comme tu voudrais nous le faire croire. Et c'est bien parce que ce lien entre
injustices sociales et injustices environnementales n'est pas évident à faire
comprendre que nous éprouvons tant de difficultés à exister de manière forte
dans le paysage politique.
Non, Nicolas, le problème n'est pas celui d'un déficit d' «unité» des écologistes, c'est celui
d'un décalage : fondée sur la transversalité, la pensée écologique éprouve
d'autant plus de mal à se faire entendre que les citoyens sont habitués depuis
longtemps aux cloisonnements politiques et à la distribution des rôles. C'est
pourtant le grand chantier auquel les Verts doivent s'attaquer, même si, en ces
temps de simplification politique et de démagogie, ils prennent le risque du
malentendu.
Il faut le dire et te le répéter, cher Nicolas, les Verts ne
doivent pas se laisser enfermer dans le seul rôle de vigie de l'environnement
ou de Cassandre. Notre fonction est de «démonter», pièce par pièce, les raisons
économiques, politiques, sociales, écologiques, qui ont conduit à la situation
actuelle, et de formuler des propositions alternatives acceptables par nos
sociétés.
Il n'est ainsi pas besoin d'être grand clerc pour constater
que nous ne sommes pas égaux devant le bouleversement climatique. Les plus
pauvres cumulent injustices sociales et injustices environnementales. Comment
prétendre lutter contre les secondes si l'on ne s'attaque pas, d'abord, aux
premières ? Aucune réponse écologique ne vaut si elle n'a pas pour objet
principal de lutter contre les inégalités. L'heure n'est donc pas à se laisser
entraîner dans ton piège, cher Nicolas. Au nom de «l'urgence écologique», tu voudrais que nous en
revenions à nos «fondamentaux», notre
ghetto vert. Tu nous reproches notre manque de visibilité, notre éparpillement
politique et notre «absence» sur
les «grands sujets» environnementaux,
mais tu n'as pas mieux réussi que nous, malgré ta proximité avec le président
de la République, tes émissions de télé, ta fondation, ton talent. A quoi ont
servi tes coups de gueule? La majorité UMP (celle du Président) a voté une loi
sur l'eau qui a transformé le pollueur payeur en pollueur payé, le gouvernement
refuse toujours d'autoriser l'utilisation des huiles végétales pures pour mieux
protéger les lobbies du maïs et du pétrole, autorise les cultures d'OGM en
plein champ, poursuit le choix suicidaire du tout-nucléaire tandis que nos
voisins allemands, qui ont décidé d'en sortir, en sont déjà aux maisons
passives qui ne consomment pas d'énergie et qu'ils produisent 15 000 mégawatts
d'énergie éolienne quand nous n'en sommes qu'à 800 !
J'entends les bonnes âmes nous dire, derrière toi, Nicolas :
«Mais pourquoi les Verts s'occupent-ils des
sans-papiers, des minorités, des discriminations, de la politique étrangère ?
Qu'ils nous parlent d'environnement, qu'ils s'occupent de ce qui les
regarde.» C'est ce que nous faisons quand nous marions des
personnes de même sexe ou que nous arrachons des pieds de maïs OGM. L'écologie,
telle que nous la défendons très majoritairement chez les Verts, n'est pas
«détachable» des questions sociales et des droits de l'homme.
Oui, Nicolas, «le
bouleversement climatique est l'une des plus grandes menaces qui aient jamais
pesé sur l'humanité» : comme toi, nous n'arrêtons pas de le
répéter (avec moins de talent, c'est vrai, et sans les moyens d'une grande
chaîne) mais, pour nous, cette menace est inséparable d'un autre fléau, déjà à
l'oeuvre, avec ses millions de victimes et dont tu nous parles si peu : le creusement
des inégalités entre pays riches et pays pauvres ; l'anéantissement organisé
par les nations les plus nanties de millions de paysans du tiers-monde. Faut-il
répéter ici qu'une vache européenne, avec ses 2,5 euros de subventions par
jour, vit mieux que 40 % des Africains ? Que 20 % des habitants de la planète
consomment 80 % de ses ressources ? Que plus de 1 milliard d'êtres humains
n'ont toujours pas accès à l'eau potable ?
Alors, comment fait-on, Nicolas ? On laisse Sarkozy bannir
les damnés de la Terre, au motif que cette question n'a «rien à voir avec l'écologie» ? Ou
alors on se bat à leurs côtés, parce que la solidarité est un des fondements de
l'écologie ?
L'écologie ne peut être une sorte d'«entre-deux», comme le
souhaitait Antoine Waechter en son temps et comme tu semblerais vouloir nous le
dire aujourd'hui, Nicolas. La tolérance, le partage, la solidarité, la plus
juste répartition des richesses, la lutte contre toutes les formes d'inégalités
et de discriminations, moteurs de l'écologie politique, n'ont jamais été les
valeurs premières de la droite. Ce sont des valeurs de gauche. Et c'est donc
avec la gauche, toute la gauche, qu'il faut chercher à créer un rapport de
force qui nous permette de peser sur les politiques publiques. Mais, si nos partenaires
ne comprennent pas que nos réponses méritent mieux que le statut humiliant de
force d'appoint, ils devront faire sans nous. Nous n'avons pas la vocation à
servir de caution verte à une gauche qui n'aurait rien compris aux vrais enjeux
de ce siècle.
Es-tu le mieux placé d'entre nous, Nicolas, pour relever ce
défi ? Tu dois savoir que la notoriété et la sympathie sont un capital fragile
dès qu'on se jette dans l'arène politique... Aller à une présidentielle, c'est
s'adresser à l'ensemble de la société, sur l'ensemble des sujets, c'est
défendre une conception du monde et de l'action politique. Se contenter d'une
campagne monothématique est l'assurance d'un échec. Sauf à vouloir se cantonner
au statut de candidat de «témoignage». Mais, franchement, l'écologie et les
idées que nous portons valent mieux que cela.
Pour nous tous, Nicolas, tu es une voix qui compte. Nous
devons l'entendre. C'est dans cet esprit que nous t'avons invité à nos journées
d'été, au même titre que Corinne Lepage ou José Bové... eux aussi candidats !
Et si ta meilleure place, Nicolas, n'était pas celle que tu occupes aujourd'hui
? Tu es un des rares parmi nous à bénéficier de tribunes aussi importantes, tu
es écouté parce que, justement, tu n'es pas «marqué» politiquement. De toute façon,
Nicolas, tu sais bien qu'en France, comme ailleurs en Europe, il n'existe qu'un
seul parti de l'écologie, le parti Verts. Tout le reste n'est que groupuscule.
Si tu veux vraiment l'unité, il ne te reste qu'un seul choix : les Verts... qui
ont déjà leur candidate, Dominique Voynet. Je te fais donc une suggestion, si
tu es d'accord avec les positions que je viens d'exprimer : accepterais-tu de
devenir le porte-parole de Dominique Voynet ? Ce serait une belle preuve de
l'unité que tu réclames avec tant de force et raison